Chinese dinnerLes insectes glissent une (timide) patte dans les assiettes européennes. Après Amsterdam, Londres, Berlin et Copenhague, Paris s’ouvre à l’entomophagie. Depuis le samedi 12 octobre, un bar de la capitale offre cinq bouchées de sauterelles, vers et punaises. A Nice, c’est le chef David Faure, une étoile au Michelin, qui a lancé en avril un menu déroutant combinant, entre autres, foie gras poêlé et croustillant de grillons.

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Jusqu’à présent, la consommation d’insectes sur le Vieux Continent était restreinte à un public d’amateurs de nouvelles sensations. Désormais, elle essaime à une plus large échelle tandis que la profession s’organise : aux Pays-Bas, un Centre international des insectes a vu le jour, réunissant une quinzaine d’entreprises et d’universités engagées dans la production d’insectes pour l’alimentation humaine et animale.

« On est en train de créer une filière européenne des insectes. Il s’agit encore d’un marché de niche, mais il se développe très rapidement », s’enthousiasme Cédric Auriol. Depuis 2011, cet entrepreneur est à la tête d’une start-up toulousaine, Micronutris, qui se présente comme la seule en Europe à produire des insectes destinés à l’alimentation des hommes. Des grillons domestiques et des vers de farine sont élevés dans 650 m2 d’unités de croissance, où ils arrivent à maturité entre 8 et 12 semaines.

La montée en cadence est soutenue : l’entreprise produit aujourd’hui une tonne par mois et vise dix tonnes en 2014. « Pour l’instant, on vend seulement au restaurant de Nice et sur Internet. Mais on est en train de conclure d’autres contrats et on doit commercialiser en grande distribution, d’ici à la fin de l’année, des barres énergétiques à base de farines d’insectes », annonce le fondateur.

« L’enjeu est de parvenir à nourrir 9 milliards d’habitants sur la planète d’ici à 2050 et de faire face à une demande en protéines animales censée doubler », expose Afton Halloran, experte à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Dans son rapport publié en mai, l’institution, qui dénombre 1 900 espèces comestibles, encourage l’entomophagie pour lutter contre la faim dans le monde. Parmi les avantages de ce « mini-bétail », une teneur plus élevée en protéines et minéraux que la viande et un besoin moindre en ressources : deux kilogrammes d’aliments sont nécessaires pour produire un kilo d’insectes contre huit pour un kilo de boeuf.

CHIFFRE D’AFFAIRES MARGINAL

Car la mandibule coûte cher : entre 500 et 1 000 euros le kilo. Pas de quoi engraisser les restaurateurs. David Faure propose son menu « Alternative food » à 59 euros, « quasiment sans marge ». Micronutris, de son côté, avoue dégager un chiffre d’affaires « marginal », juste suffisant « amortir la recherche et développement ».

Mais le principal frein à cette consommation, au-delà de l’acceptabilité d’un produit encore perçu comme rebutant, réside dans le flou juridique qui l’entoure. Le règlement européen Novel food, qui s’applique à l’alimentation humaine, prévoit que les nouveaux aliments doivent faire l’objet d’une évaluation des Etats membres et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, avant une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par la Commission européenne. Sauf à pouvoir justifier d’une consommation significative avant 1997 en Europe, ce qui leur permet d’être directement introduits sur le marché.

ABSENCE DE LÉGISLATION SPÉCIFIQUE

Or, à ce jour, aucune consommation d’insecte n’a pu être formellement prouvée et aucune demande d’AMM n’a été reçue ni accordée. « Il y a des débats sur le champ d’application du règlement, explique-t-on à la Commission. Un nouveau texte est en préparation. » Quant à l’introduction d’insectes dans l’alimentation animale, elle est restreinte par la législation – en cours de révision – sur les farines animales, autorisées seulement pour l’aquaculture.

En France, les mêmes incertitudes prévalent, en l’absence de législation nationale spécifique. « Commercialiser des insectes pour la consommation humaine n’est pas autorisé mais toléré », reconnaît-on au ministère de l’agriculture. Un flou dont profitent Cédric Auriol et David Faure, en espérant avoir le dernier mets.

Source : Le Monde, 12/10/13 RP4