Érosion de la biodiversité quelles réponses face à une accélération inquiétanteLes récentes données scientifiques confirment l’étendue sans précédent de l’érosion du vivant. Toutefois, à travers le monde avec la COP15 sur la biodiversité en 2022 ou encore avec le vote en février 2024 au Parlement européen d’un texte pour restaurer la nature, des stratégies de protection de la biodiversité sont adoptées.

La biodiversité, contraction de « biologique » et de « diversité », représente la diversité des êtres vivants et des écosystèmes : la faune, la flore, les bactéries, les milieux (océan, forêt…) mais aussi les gènes et les variétés domestiques. La notion intègre également les interactions entre ces organismes. Environ 1,8 million d’espèces animales et végétales distinctes ont été décrites sur une diversité estimée à 100 millions.

Une espèce menacée est un animal ou un végétal qui risque de disparaître à court ou moyen terme. Le déclin rapide de la biodiversité remet en cause la survie des espèces vivantes et, in fine, de l’espèce humaine.

« Tissu vivant » de la Terre, la biodiversité apporte des biens et services indispensables : oxygène, nourriture, pollinisation, médicaments, notamment. 50 000 espèces sauvages, dont près de 10 000 pour l’alimentation, répondent aux besoins de milliards de personnes selon un rapport de l’Organisation des Nations unies de juillet 2022. Et, plus précisément :

– une personne sur cinq dépend des plantes sauvages, des algues et des champignons pour sa nourriture et ses revenus ;
– 2,4 milliards de personnes dépendent du bois pour cuisiner ;
– près de 100 millions de personnes travaillant dans la pêche de capture vivent de la pêche à petite échelle.

Un constat : l’extinction accélérée de nombreuses espèces

Les dégradations à l’échelle internationale

Un million d’espèces animales et végétales (sur un total estimé à 8 millions) pourraient disparaître de la Terre dans les prochaines décennies si aucune mesure n’est prise pour freiner cette tendance, alerte la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dans son rapport 2019. Désignée comme le « GIEC de la biodiversité », la plateforme souligne qu’il s’agit de la première crise d’extinction massive des animaux et des plantes depuis la disparition des dinosaures, il y a environ 65 millions d’années. « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine » et « le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ».

Sa seconde évaluation mondiale de l’état de la biodiversité, en juillet 2022, révèle le lien étroit entre l’économie, la survie des populations et la protection des écosystèmes. Or, bon nombre de ces ressources sont surexploitées donc menacées (12% des espèces d’arbres et 1 341 espèces de mammifères sauvages).

Pour la première fois, une évaluation mondiale sur les espèces exotiques envahissantes, est ensuite publiée en septembre 2023 :

– près de 37 000 espèces exotiques, introduites dans des sites naturels autres que leur milieu d’origine, sont en majeure partie liées à l’augmentation du commerce mondial et des déplacements humains ;
– 218 espèces sont responsables de l’extinction de 1 215 espèces locales.

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) reconnaît la biodiversité comme partie intégrante de l’agriculture, en particulier de l’agriculture durable. Dans son rapport publié le 22 février 2019, la FAO souligne que 24% de quelque 4 000 espèces d’aliments sauvages (principalement des plantes, des poissons et des mammifères) diminuent fortement.

En 2021, des experts du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’IPBES ont produit pour la première fois un rapport commun soulignant la nécessité d’agir à la fois sur la biodiversité et le changement climatique (« aucun de ces enjeux ne sera résolu avec succès s’ils ne sont pas abordés ensemble »). Les auteurs insistent sur les conséquences dangereuses pour les écosystèmes d’actions « trop ciblées sur le climat » et vice-versa.

Le sixième rapport d’évaluation du GIEC (synthèse publiée en mars 2023) dresse par ailleurs un tableau encore plus sombre que les précédents sur l’évolution du climat :

– un réchauffement global sans précédent : le niveau atteindra 1,5 °C dès le début des années 2030, « quels que soient les efforts de réduction immédiate des émissions mondiales de CO2 »;
– une hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES) ;
– une augmentation de la vulnérabilité des écosystèmes et des populations (3,3 milliards de personnes vivent dans des zones déjà vulnérables) ;
– les effets du changement climatique vont s’accentuer : certains seront irréversibles (montée du niveau de la mer, par exemple).

La dernière édition de la liste rouge mondiale, publiée en 2023, étudie 142 577 espèces ; 40 084 d’entre elles sont classées menacées (contre 27 150 dans l’étude précédente, de 2019). Parmi ces espèces, 41% des amphibiens, 13% des oiseaux et 26% des mammifères sont menacés d’extinction à l’échelle mondiale. C’est aussi le cas pour 37% des requins et des raies, 33% des coraux constructeurs de récifs et 34% des conifères.

L’évaluation des dégâts dans l’Union européenne (UE)

La Commission européenne a dressé en 2015 un bilan de l’état de conservation de la nature dans l’Union européenne :

– pour la faune, 16% des habitats étaient jugés dans un état favorable, 47% dans un état insuffisant et 30% médiocre ;
– 20% des espèces d’oiseaux régressaient en termes de population, 15% étaient quasi menacées et 17% considérées comme menacées (c’est-à-dire vulnérables, en danger, en danger critique ou éteintes au niveau régional) ;
– 60% des espèces d’intérêt communautaire (les espèces et les habitats naturels couverts par les deux directives) se trouvaient dans un état de conservation estimé insuffisant à médiocre.

La nouvelle édition de ce rapport, en 2020, signale que « le déclin des habitats et espèces protégés se poursuit ». S’il n’y est pas remédié, cette baisse se traduira par une érosion continue de la biodiversité « mettant en péril la santé et la prospérité de l’espèce humaine ». La plupart des espèces et habitats protégés sont dans un état médiocre, et certains ne cessent de se dégrader :

– 30% des espèces de mollusques et de poissons présentent un état de conservation médiocre (surtout les poissons d’eau douce, à cause des installations hydroélectriques). 47% des espèces d’oiseaux sont dans un état favorable (contre 52% en 2015) ;
– seuls 15% des habitats sont en bon état.

En France, un grand nombre d’espèces menacées
1 889 espèces menacées à l’échelle mondiale sont présentes sur le territoire (liste rouge de l’UICN pour les espèces menacées en France), notamment dans l’hexagone où :
– 15% des orchidées, 14% des mammifères, 24% des reptiles, 23% des amphibiens, 32% des oiseaux nicheurs, 19% des poissons et 28% des crustacés d’eau douce sont menacés de disparition ;
– 22% des oiseaux communs spécialistes (d’un habitat) ont disparu entre 1989 et 2017 ;
– 38% des chauves-souris ont disparu entre 2006 et 2016.

Pourquoi une érosion de la biodiversité ?

Les activités humaines sont la principale raison des disparitions d’espèces, constate la communauté scientifique internationale. Le rapport du GIEC met en cause le changement climatique et les autres pressions exercées par l’homme : déforestation, artificialisation des sols, désertification, surexploitation des espèces, pollution…

Les trois premières causes de l’effondrement de la biodiversité sont :

– la destruction et l’artificialisation des milieux naturels, due à l’intensification et à l’extension des surfaces agricoles. 420 millions d’hectares de forêts naturelles ont disparu en 30 ans à travers le monde, selon les chiffres récents de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La forêt est pourtant « incontournable pour limiter le réchauffement à 1,5°C ». La déforestation massive liée à la production d’huile de palme en Indonésie, par exemple, a modifié profondément la biodiversité. En France, la perte de surfaces a conduit notamment à l’abrasion des fonds marins, à la mise en culture de prairies, à la dégradation des sols ;
– la surexploitation des ressources et le commerce illégal : la surpêche, la surchasse et la surexploitation des espèces prélèvent trop de ressources naturelles. Le trafic illégal d’espèces animales et végétales apparaît aujourd’hui comme une des principales causes de leur disparition. Il porte sur des centaines de millions de spécimens de plantes et d’animaux (ivoire, cornes de rhinocéros, ailerons de requin, par exemple) et sur une large gamme de produits dérivés. Sa valeur financière est estimée entre 7 et 23 milliards de dollars par an dans le monde selon Interpol et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ;
– le changement climatique : le réchauffement du climat modifie les conditions de vie des espèces animales et végétales qui doivent s’adapter pour survivre. Cette évolution conduit aussi à une hausse des phénomènes météorologiques extrêmes, comme la sécheresse.

Dans leur rapport commun sur la biodiversité et le changement climatique en 2021, des experts du GIEC et de l’IPBES rappellent que « limiter le réchauffement climatique pour assurer un climat habitable et protéger la biodiversité sont des objectifs synergiques ». Pour eux, la réduction de la consommation individuelle, les changements de régimes alimentaires et une exploitation réellement durable des ressources peuvent contribuer à répondre aux crises de la biodiversité et du climat.

« Près d’une planète et demie serait désormais nécessaire pour subvenir à l’ensemble des besoins de la population mondiale (plus de 8 milliards d’habitants en 2023) » souligne le WWF, une organisation non gouvernementale (ONG). L’empreinte carbone (ou climat) concerne la matière et l’énergie générées par tout ce que les êtres humains consomment et jettent. Les activités émettent plus ou moins des gaz à effet de serre (GES). En France, une personne émet en moyenne 10 tonnes de CO2 par an, alors « qu’il faudrait limiter ce chiffre à 2 tonnes de CO2 par an pour réussir à atteindre la neutralité carbone et à limiter le réchauffement de la planète », estime l’Agence de la transition écologique (Ademe). L’augmentation de la population mondiale, qui devrait s’élever à 11 milliards d’habitants en 2100, d’après un rapport de l’Organisation des Nations unies (ONU) publié en 2022, devrait aggraver les conséquences sur la biodiversité.

Les pistes de l’IPBES pour enrayer la surexploitation des ressources (rapport 2022) se fonde sur un rapport plus durable avec les espèces sauvages (plantes, animaux, champignons, algues). Il invite à redéfinir les concepts de « développement », de « qualité de vie », afin de mieux prendre en compte la nature dans sa globalité et propose notamment de :

– développer des moyens de lutte contre le commerce illégal d’espèces ;
– protéger les peuples autochtones qui réussissent à concilier usage et préservation des milieux sauvages ;
– mener des politiques aux niveaux international, national, régional et local qui soutiennent des droits fonciers sûrs et un accès équitable aux terres, aux pêches et aux forêts ;
– réduire la pêche illégale, supprimer les subventions financières nuisibles.

Communauté internationale, Union européenne, France : des stratégies de protection à différentes échelles

Les engagements de la communauté internationale

La perte de la biodiversité est un défi mondial. Depuis plus de 20 ans, un très grand nombre d’instruments et d’engagements de portée internationale ou régionale tente de répondre à cet enjeu.

Les principales conventions adoptées sont :

– la Convention sur la diversité biologique (CDB), signé par 196 pays lors du Somment de la Terre à Rio en 1992, est le texte de référence dont les objectifs sont : la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de la diversité biologique et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. La Convention a été complétée par le Protocole de Carthagène (prévention des risques biotechnologiques) et le Protocole de Nagoya (accès au ressources génétiques) ;
– la Convention de Ramsar (conservation des zones humides importantes) ;
– la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (UNFCCC) ;
– la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD).

Le Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Convention de Washington), connue sous son acronyme anglais CITES, entrée en vigueur en 1975, veille à ce que le commerce international des spécimens d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent.

Les réserves de biosphère, programme de coopération scientifique, non prévu dans le cadre d’une Convention, visent l’amélioration les relations entre les individus et leur environnement dans le cadre du programme Man and Biosphere (MAB) de l’Unesco.

Autre instrument onusien, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) créée en 2010, produit des rapports scientifiques utilisés dans les négociations pour améliorer la biodiversité.

La FAO a adopté en 2021 un cadre d’action en faveur de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture : plus de 50 mesures visant la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture.

Pour arrêter la dégradation de la biodiversité, des conférence des parties sur le climat (les COP) de l’ONU sont régulièrement organisées, notamment :

– la COP21 a débouché sur l’Accord de Paris et l’objectif de maintenir la hausse du réchauffement climatique sous la limite des deux degrés (voire à 1,5 degré au-dessus du niveau préindustriel) ;
– la récente COP28 a trouvé un accord qui marque le « début de la fin » de l’ère des combustibles fossiles.

Par ailleurs, il existe aussi des COP en lien avec la biodiversité. Ainsi, la COP15 réunit à Montréal en 2022 a trouvé un accord qui prévoit notamment de protéger 30% de la planète d’ici 2030 et de restaurer 30% des écosystèmes.

La politique européenne en faveur de la biodiversité

Deux directives européennes sur la biodiversité, ont donné naissance au réseau Natura 2000 :

– les directives Habitats et Oiseaux ;
– la directive Cadre sur l’eau (DCE).

La PAC prend en compte également l’environnement dans le « pacte vert pour l’Europe » et dans la stratégie « De la ferme à la table » : lutter contre le changement climatique, protéger les ressources naturelles, renforcer la biodiversité.

Autre outil, régional cette fois, la stratégie paneuropéenne pour la diversité biologique et paysagère a pour but de mettre en oeuvre la CDB et le Convention de Berne pour la conservation de la flore, de la faune et des habitats naturels.

Selon le rapport de la Commission européenne 2020, des mesures s’imposent pour mettre la biodiversité européenne sur la voie du rétablissement à l’horizon 2030, comme le prévoit la nouvelle Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité, lancée en mai 2020. Elle vise principalement à transformer au moins 30% des mers et des terres d’Europe en zones protégées, en complétant les zones Natura 2000 existantes.

Le rapport montre aussi que les mesures de conservation ciblées portent leurs fruits : le lynx ibérique, le renne des forêts et la loutre, qui font l’objet de grands projets de conservation, sont en cours de rétablissement.

Plus récemment, le 27 février 2024, les eurodéputés ont adopté la première loi européenne visant à restaurer les écosystèmes dégradés au sein de l’Union européenne (UE). Ce texte prévoit la restauration de 20% au moins des terres et des mers de l’Union européenne (UE) d’ici à 2030 et de tous les écosystèmes dégradés d’ici à 2050.

Les plans nationaux et stratégies de la France
L’État a mis en œuvre une politique publiques dans le cadre des engagements internationaux, notamment :
– Loi pour la reconquête des la biodiversité, de la nature et des paysages (2016) ;
– Plan biodiversité (2018) ;
– Stratégie nationale de la biodiversité (SNB) 2030 ;
– Stratégies des aires protégées marines et terrestres ;
– Stratégie nationale pour lutter contre la déforestation importée (2018) ;
– Plans nationaux d’actions en faveur des espèces menacées à partir de 1996.

SOURCE : VIE PUBLIQUE
Érosion de la biodiversité : quelles réponses face à une accélération inquiétante ? | Vie Publique